Eugénie de Montijo, Impératrice des Français

11/07/2023

  Eugénie de Montijo naît le 5 mai 1826 à Grenade en Espagne, dans une famille francophile et napoléonienne ; en effet son père a soutenu le règne de Joseph Bonaparte placé sur le trône d'Espagne par son frère Napoléon Ier.

  En 1835, sa famille s'installe en France. Agée de 9 ans, Eugénie entre au couvent du Sacré-Cœur de Paris où elle se révèle être une élève dissipée. C'est grâce aux prestigieux invités de sa mère, les écrivains Mérimée et Stendhal, que vont se développer ses connaissances et sa culture.

  Eugénie n'a que 13 ans au décès de son père et sa mère veut parfaire son éducation en vue de lui trouver un bon parti. Mais la jeune fille, romantique et fougueuse, n'entend pas obéir et repousse plusieurs propositions de mariage.

  Après une déception amoureuse, Eugénie ne vit que pour sa passion du théâtre et des bals, de la mode et des voyages. Prenant le titre de comtesse de Teba en 1847, elle devient dame d'honneur de la Reine d'Espagne. Mais après une dépression en automne 1848, sa mère la force à revenir en France.

  A ce moment-là, Louis-Napoléon Bonaparte vient d'être élu président.

  Dès son retour en France, début 1849, Eugénie fréquente la princesse Mathilde, la cousine de Louis-Napoléon Bonaparte. Dès leur première rencontre, le futur empereur est sous le charme, et invite la jeune espagnole à Saint-Cloud. Mais, dans un premier temps, Eugénie se montre assez distante avec son illustre soupirant. Revenue d'un long voyage en Europe, Eugénie revoit Louis-Napoléon devenu Prince-Président après son coup d'État du 2 décembre 1851.

  Le regard d'Eugénie change au fil des mois, si bien que Louis-Napoléon, devenu Napoléon III le 2 décembre 1852, fait rapidement une demande en mariage à la mère d'Eugénie. Le 22 janvier, il officialise l'annonce de son prochain mariage devant les corps constitués. Le mariage civil se déroule au palais des Tuileries le 29 janvier 1853, suivi le lendemain du mariage religieux en l'église Notre-Dame.

  Aux Tuileries dans sa communication du 22 janvier 1853 devant le Sénat, le Corps législatif et le Conseil d'État, l'Empereur déclare :

  " Celle qui est devenue l'objet de ma préférence est d'une naissance élevée. Française par le cœur, par l'éducation, par le souvenir du sang que versa son père pour la cause de l'Empire, elle a, comme Espagnole, l'avantage de ne pas avoir en France de famille à laquelle il faille donner honneurs et dignités. Douée de toutes les qualités de l'âme, elle sera l'ornement du trône, comme, au jour du danger, elle deviendrait un de ses courageux appuis. Catholique et pieuse, elle adressera au ciel les mêmes prières que moi pour le bonheur de la France ; gracieuse et bonne, elle fera revivre dans la même position, j'en ai le ferme espoir, les vertus de l'Impératrice Joséphine. […] Je viens donc, Messieurs, dire à la France : J'ai préféré une femme que j'aime et que je respecte, à une femme inconnue dont l'alliance eût eu des avantages mêlés de sacrifices. Sans témoigner de dédain pour personne, je cède à mon penchant, mais après avoir consulté ma raison et mes convictions. "

  A partir de son mariage, Eugénie va petit à petit abandonner son insouciance volatile pour prendre très au sérieux son nouveau statut et pas des moindres, celui d'impératrice des Français.

  Sa première tâche est de donner un héritier au trône et après une première fausse couche, elle donne naissance au Prince Impérial le 16 mars 1856. Ce sera son unique enfant.

  Eugénie s'implique aussi profondément auprès des pauvres : elle redonne vie à la société maternelle, une institution caritative créée par la reine Marie-Antoinette ; elle visite les malades du choléra lors des épidémies de 1865 et 1866 ; elle se préoccupe du sort des enfants détenus en prison. Elle soutient aussi la cause des femmes : elle passe des commandes à la sculptrice Camille Claudel ; elle appuie la candidature de l'écrivaine George Sand à l'Académie française ; elle protège Julie Victoire Daubié, la première femme institutrice à se présenter au baccalauréat.

  Surtout, elle soutient le travail du ministre de l'Éducation Victor Duruy en faveur de l'enseignement pour les filles.

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  Eugénie loue une véritable passion à Marie-Antoinette. En plus de refaire vivre sa société maternelle, elle contribue à faire sortir de l'oubli le style Louis XVI qui est aussi celui de Marie-Antoinette. A Saint-Cloud par exemple, l'Impératrice fait installer les commodes commandées en 1785 à l'ébéniste allemand Beneman pour le salon de jeux de Marie-Antoinette à Compiègne.

  Le 7 février 1866, elle va jusqu'à apparaître déguisée en Marie-Antoinette lors d'une fête. Un choix que certains jugent déplacé. Prosper Mérimée écrivait à la mère de la jeune impératrice, « Il me revient que le costume de Marie-Antoinette dans un bal masqué n'a pas produit un bon effet. D'abord le souvenir est peu gai pour être présenté dans une fête, en second lieu, il n'y a rien de commun, Dieu merci, entre Marie-Antoinette et Sa Majesté. L'impératrice a de l'esprit, du bon sens et de la fermeté, trois qualités qui ont fait défaut à la pauvre reine. »

  En effet, la réhabilitation de Marie-Antoinette n'a pas encore eu lieu, elle est encore très impopulaire.

  L'impératrice ne semble pas se rendre compte de la dangerosité de son engouement pour Marie-Antoinette. Le peuple fait ses propres rapprochements entre les deux souveraines. Eugénie passe pour frivole comme l'était Marie-Antoinette, le peuple l'appelle l'Espagnole comme on appelait la reine défunte l'Autrichienne.

  Eugénie doit aussi s'adresser aux plus aisés et les séduire. Elle se montre très douée dans l'art de la conversation et de la réception au palais de Compiègne, où la cour séjourne chaque été. Émile Ollivier, chef de cabinet de Napoléon III, note cependant que l'Impératrice n'a pas oublié ses jeunes années impétueuses : elle a l'esprit « d'une héroïne de Cervantès », spontanée, emportée et parfois… irréfléchie.

  Elle-même dit régulièrement regretter de parler trop vite ! Mais elle a le don de créer des effets de mode grâce à ses toilettes somptueuses (ses ennemis l'appellent « Fée Chiffon ») et de canaliser la cour grâce à des réceptions d'envergure : sans Eugénie, il n'y aurait pas eu l'expression « Fête impériale » qui décrit l'atmosphère exquise qu'elle installe autour de l'Empereur durant deux décennies.

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  On a beaucoup accusé l'impératrice d'avoir mal conseillé l'empereur en politique comme pendant l'expédition du Mexique par exemple mais son rôle a été mineur. Elle est certes entourée d'une petite cour mexicaine favorable à l'intervention française mais Napoléon III est surtout influencé par la perspective financière de cette expédition.

  Pourtant, les contemporains, et certains historiens aujourd'hui, prêtent à l'Impératrice une influence sur les décisions de Napoléon III. Eugénie est probablement victime des rumeurs qui courent à son sujet dès son mariage. Le Prince Napoléon, cousin de l'Empereur, et la famille Bonaparte dans son ensemble ont vu une mésalliance dans cette union et ont une antipathie tenace contre la jeune femme.

  Ces relations difficiles, alliées à la haine portée par les républicains à Napoléon III et donc à sa femme, ont contribué à la légende noire d'Eugénie, au-delà de sa mort : on finit par lui reprocher la chute de l'Empire, voire la mort du Prince Impérial !

  Eugénie gagne cependant la confiance de son époux qui lui confie par trois fois la régence. Une première fois en 1859 lors de la guerre d'Italie à laquelle elle n'était pas favorable car inquiète pour les états du pape, en 1865 aussi lors de la visite de Napoléon III en Algérie et enfin en 1870 lors de la guerre franco-prussienne. Elle fut très effacée lors de la première régence, reléguée à un rôle secondaire de figuration, le conseil des ministres décidant bien souvent à sa place mais prit la suite très à cœur ayant gagné en expérience, en assurance et s'impliquant davantage dans son rôle d'impératrice régente.

  Après la chute du Second Empire, due à la guerre franco-prussienne de 1870, la famille impériale se réfugie à Camden Place à Chislehurst, au sud-est de Londres, en Grande-Bretagne. À partir de la mort de Napoléon III en 1873, Eugénie se fixe pour unique but de veiller sur le Prince Impérial, seul héritier de la dynastie. À la fin des études du jeune homme, Eugénie le fait voyager à travers toute l'Europe pour défendre son droit au trône… Mais le Prince Impérial pense que sa légitimité passe par la gloire militaire : il s'engage dans les troupes anglaises partant en Afrique du Sud, malgré les supplications de sa mère, et meurt là-bas le 1er juin 1879 durant la guerre entre Zoulous et Britanniques.

  Eugénie ne se remettra jamais de la perte de son fils unique : elle part en Zoulouland sur les pas de son fils défunt l'année suivante et, à son retour en Angleterre, fait construire sur le domaine de Farnborough, sa nouvelle demeure, une abbaye servant de tombeau à son époux et son fils. Dès lors, elle se mure dans le silence et semble fuir sa douleur dans les voyages. Depuis son enfance, partagée entre l'Espagne et la France, jusqu'à ses nombreux séjours en bord de mer dans le Sud-Ouest à Biarritz, Eugénie a toujours eu le goût des voyages, mais ils ne réussissent pas à apaiser son chagrin. Eugénie s'éteint à l'âge de 94 ans, à Madrid le 11 juillet 1920. Elle repose auprès de son époux et de son fils à Farnborough.

  Eugénie n'est peut-être pas une grande femme d'état au même titre que Blanche de Castille ou Catherine de Médicis mais elle mérite qu'on parle d'elle en tant que dernière souveraine des Français, Première Dame à la hauteur de son titre ayant montré bien plus d'implication, de caractère et d'intelligence qu'on a pu le dire.


Eva du Tertre